Évaluation du stade de croissance selon la méthode de maturation des vertèbres cervicales

Publié par Denis Massé le

Par Denis Massé

Denis MasséDéterminer le stade de croissance afin d’optimiser l’efficacité de certaines modalités de traitements orthopédiques peut s’avérer d’une grande utilité. La connaissance insuffisante de certains cliniciens à cet égard pourrait expliquer en partie la disparité des résultats obtenus lors des traitements orthopédiques et orthodontiques. L'âge chronologique, le développement dentaire, la maturation sexuelle et l'augmentation de la stature du patient sont des moyens qui peuvent être considérés dans le but de déterminer les étapes du développement et de la croissance mais ils donnent tous des résultats mitigés. Voici un résumé de deux articles : The Cervical Vertebrae Maturation Stage Method du Dr Bulmario Gonzalez1 et The Cervical Vertebral Maturation (CVM) for the Assessment of Optimal Treatment Timing in Dentofacial Orthopedics de T Braccetti, L Franchi et J A Jr McNamara2.

L’âge chronologique s’avère de faible fiabilité pour prévoir le stade de maturité et est peu recommandé dans le but d’établir le moment opportun pour débuter le traitement en orthopédie.13,19 Puisque le développement dentaire, la maturation sexuelle et la croissance staturale varient grandement d’un individu à un autre, la décision du moment propice de quand débuter le traitement pour en optimiser les résultats doit reposer sur des données plus prévisibles.

Une méthode plus fiable pour aider à établir la maturité squelettique est la méthode CVMS (Cervical Vertebrae Maturation Stage) que nous traduirons ici par ‘’stade de maturation des vertèbres cervicales’’. Cet article, une traduction des deux cités plus haut, tentera de clarifier la façon de déterminer le stade de maturité squelettique en utilisant la méthode CVMS. Son utilisation peut aider à déterminer le meilleur moment pour effectuer le traitement d’orthopédie fonctionnelle dentofaciale chez un patient donné, et de là en tirer les meilleurs résultats.

Il est connu et bien documenté que durant la croissance tous les os du corps subissent une suite de modifications morphologiques qui leur sont propres. C’est le cas entre autres des vertèbres cervicales. Les deux premières vertèbres, Atlas et Axis, ont leurs propres particularités anatomiques alors que les autres (ici C3 à C6 en ce qui nous concerne) ont aussi leurs propres similarités.2

La méthode CVMS (Fig. 1) est reconnue comme étant fiable au même titre que celle de l’évaluation des os de la main et du poignet afin d’évaluer le stade de maturité squelettique d’un individu.3,7,15,21,18,12,19,17,14, 8, 13, 4

L’avantage du CVMS en orthodontie réside dans le fait que l’information nécessaire est disponible sur le cliché céphalométrique utilisé pour le diagnostic et l’étude cas, éliminant ce faisant la nécessité d’une exposition supplémentaire du patient aux radiations.21,11,9 D’autant plus que l’évaluation de la radiographie des os du poignet et de la main demande une intervention et une expertise supplémentaire. Ceci explique en partie que cette méthode autrefois utilisée soit aujourd’hui remplacée par le CVMS.


La méthode utilisant le CVMS semblerait initialement attribuée à Lamparski1 (1972). Elle fut aussi reprise par Baccetti, Franchi et McNamara Jr en 20056. Cette hypothèse se base sur le fait que les vertèbres cervicales passent par différentes modifications physiologiques durant la maturation squelettique.(Fig. 2)


Les changements remarqués les plus significatifs sont : le développement graduel d’une concavité au niveau de la base des vertèbres, la modification de leur forme trapézoïdale en une plus rectangulaire, et une augmentation de la hauteur des vertèbres avec la maturité squelettique, celles-ci devenant finalement plus hautes que larges.3,12,9

Figure 1

Fig. 1 Vertèbres C2 à C6 sur le céphalogramme d’une personne mature.

De tous les changements anatomiques, partant de C2, le développement graduel d’une concavité aux rebords inférieurs des vertèbres est celui qui devrait attirer à priori l’attention du clinicien; habituellement, plus évidentes sont ces concavités sur les vertèbres C2 à C4, plus l’individu est avancé dans son stade de développement squelettique.9 La première étape de l’évaluation de la maturité squelettique avec la méthode CVMS consistera donc à remarquer la présence ou non de concavités aux rebords inférieurs de C2 à C4. Par exemple, si une concavité existe sur C2 mais non sur C3, le patient sera réputé être au stade de développement 2 (CS2). La présence d’une courbure sur C3 le classifiera au stade 3 (CS3) et ainsi de suite.

La méthode CVMS varie selon les auteurs, comptant selon le cas cinq ou six stades. Pour la suite de l’article, nous référerons aux six stades présentés par Braccetti, Franchi et McNamara Jr.2 (Fig.2)

Figure 2

Fig. 2 Schématisation des 6 stades de la méthode CVMS 1-6.

La prochaine figure (Fig.3) montre les modifications morphologiques de C3 et C4 du début du stade au pic de croissance. Parce que le stade CV2 est plus difficile à évaluer et que C5-6-7 sont souvent absentes du cliché, la méthode sera souvent simplifiée à l’évaluation des stades CS3 et CS4.7

Figure 3

Pré-pubertaire (trapézoïdale)    Pic de croissance (‘’rectangulaire’’)    Post pic de croissance (carrée)

Le second critère à évaluer avec cette méthode sera de remarquer la forme des vertèbres qui passent graduellement de trapézoïdale (plus hautes à leur partie postérieure qu’antérieure) à rectangulaire horizontale (plus larges que hautes), carrée, puis finalement rectangulaire verticale (plus hautes que larges).

CS16 : Les bords inférieurs des vertèbres (C2-C3-C4) sont plats. Les corps de C3 et C4 sont de forme trapézoïdale. Le pic de croissance mandibulaire se produit en moyenne 2 ans après cette étape.6 (Fig. 4) 

Figure 4

Fig. 4 Céphalogrammes démontrant le stade CS16

CS26 : Une concavité est présente à la partie inférieure de C2 (dans quatre cas sur cinq). Les corps de C3 et C4 sont toujours de forme trapézoïdale. Le pic de croissance mandibulaire aura lieu en moyenne 1 an après cette étape.6 (Fig. 5)

Figure 5

Fig. 5 Céphalogrammes démontrant le stade CS26

CS36 : Les concavités aux bords inférieurs de C2 et C3 sont présentes. Les corps de C3 et C4 peuvent être de forme trapézoïdale ou rectangulaire horizontale. Le pic de croissance mandibulaire se produira habituellement au cours de l'année qui suit.6 (Fig. 6)

Figure 6

Fig. 6 Céphalogrammes démontrant le stade CS36

CS46 : Présence des concavités aux bords inférieurs de C2, C3 et C4. Les C3 et C4 sont maintenant de forme rectangulaire horizontale. Le pic de croissance mandibulaire a eu lieu 1 ou 2 ans avant ce stade.6 (Fig. 7)

Figure 7

Fig. 7 Céphalogrammes démontrant le stade CS46

CS56 : Les concavités de C2, C3 et C4 sont présentes. Un des corps de C3 ou C4 est maintenant de forme carrée. Si non le corps de l'autre vertèbre cervicale est encore de forme rectangulaire horizontale. Le pic de croissance mandibulaire a pris fin au moins 1 an auparavant. (Fig. 8)

Figure 8

Fig. 8 Céphalogrammes démontrant le stade CS56

CS66 : Les concavités au bas de C2, C3 et C4 sont toujours évidentes. Au moins un des corps de C3 et C4 a une forme rectangulaire verticale. Si non rectangulaire verticale, le corps de l'autre vertèbre cervicale est carré. Le pic de croissance mandibulaire a pris fin au moins 2 années avant cette étape.6 (Fig. 9)

Figure 9 

Fig. 9 Céphalogrammes démontrant le stade CS VI6

Hassel et Farman4 ont aussi décrit ces stades de maturation de façon similaire. Pour eux, la forme des vertèbres passant d’une forme de ‘’wedge’’ (initiation de la croissance) vers une forme graduellement plus rectangulaire (accélération de la croissance) et finalement plus carrée concordant avec une décélération puis la finalisation de la croissance. Ceux-ci n’utilisant en fait qu’une terminologie descriptive différente.

Selon eux, le stade initiation serait caractérisé par l’absence de concavité sur C2, C3 et C4 et par leur forme plus haute à leur partie arrière qu’à l’avant (‘’wedge shape’’). Il serait possible alors d’anticiper 80% à 100% de croissance cranio-faciale. Le stade accélération serait lui remarqué par des concavités évidentes sur C2 et C3 mais avec un rebord plat de C4. Les C3 et C4 ayant de plus évolué vers une forme plus rectangulaire.

Le troisième stade sera celui de transition; c’est le stade évoluant vers le pic de croissance proprement dit et 25% à 65% de croissance est encore attendue. Une concavité commence alors à se former à la base de C4 et les vertèbres prennent de plus en plus une forme rectangulaire. Suivra le stade quatre de décélération. À ce stade, il peut rester 10% à 25% de croissance à espérer mais à un rythme beaucoup plus ralenti. La concavité de C4 devient plus évidente et les vertèbres sont de plus en plus carrées. Le stade cinq appelé maturation, est marqué par les concavités évidentes de C2 à C4 et elles évoluent vers une forme nettement plus carrée (environ 5% à 10% de croissance potentielle).

Le dernier stade est le stade six où la croissance est complétée alors que peu ou pas de croissance est attendue. Les concavités sont marquées de C2 à C4 et les vertèbres ont maintenant une forme nettement plus carrée.

Les appareils d’avancée mandibulaire, qu’ils soient fixes ou amovibles, produiront des résultats différents selon le moment où ils sont utilisés. Il est donc important pour le clinicien en orthopédie dentofaciale de bien connaître les différents cycles de croissances afin de savoir bien sûr comment, mais aussi et surtout quand intervenir afin d’obtenir les meilleurs résultats chez les patients présentant des déviations squelettiques. La littérature est claire à l’effet que les traitements effectués au stade pré-pubertaire n’apportent pas les mêmes résultats que ceux effectués lorsqu’en période optimale de croissance.6,21 Synchroniser le traitement orthopédique avec le stade de croissance active optimale peut donc être avantageux à plusieurs égards.

L'application clinique de la méthode CVMS en orthopédie dentofaciale s’avère être particulièrement pertinente pour les protocoles de traitement des dysharmonies squelettiques de classe 2. Il a en effet été démontré que l'efficacité des traitements fonctionnels repose fortement sur la réactivité biologique du cartilage condylien, qui à son tour est liée au taux de croissance de la mandibule.23,24,25

Références :
1. The cervical vertebrae maturation stage method. Gonzalez B, Int Journ Orthodondics, Vol 23, No 3, Fall 2012, pp 63-661
2. Baccetti T, Franchi L, McNamara J A Jr, The Cervical Vertebral Maturation Method (CVM) for the Assessment of Optimal Treatment Timing in Dentofacial Orthopedics. Semin Orthod 11:119–129 © 2005 Elsevier Inc.
3. Lamparski, D. G., Skeletal Age Assessment Utilizing Cervical Vertebrae (dissertation). Pittsburgh, PA,The University of Pittsburgh; 1972.
4. Hassel B, A. Skeletal Maturation Evaluation Using Cervical Vertebrae. AJODO 1995; 107:58-66.
5. Franchi L, DDS, PhD, et al, Mandibular Growth as Related to Cervical Maturation and Body Height. AJODO, September 2000, pp 335-40.
6. Baccetti, T, DDS, PhD, et al, Treatment Timing for Twin-block Therapy. AJODO, August 2000, pp 159-69.
7. Baccetti, T. DDS, PhD, et al, An Improvement Version of the Cervical Vertebral Maturation (CVM) Method for Assessment of Mandibular Growth, Angle Orthodontist. August 2002, Vol 72, No4, pp 316-23.

8. Mito T., DDS, et al, Cervical Vertebral Bone Age in Girls, AJODO, October 2002, pp 380-84.
9. San Roman, Paloma, DDS, et al, Skeletal Maturation Determined by Cervical Vertebrae Development. EJO, 24 (2002) pp 303-311.
10. Baccetti T, DDS, PhD, et al, The Cervical Maturation Method: Some need for Clarification. AJODO, January 2003, pp 19A-20A.
11. Mito T, DDS, et al, Predicting Mandibular Growth Potential with Vertebral Bone Age. AJODO, August 2003, pp 173-77.
12. Kamal M, Ragini, Goyal S, Comparative Evaluation of Hand Wrist Radiographs with Cervical Vertebrae for Skeletal Maturation in 10-12 Years Old Children. J Indian Soc Pedod Prev Dent 2006; 24: 127-35.
13. Kicukkeles N, Acar A, Biren S, Arun T, Comparison Between Cervical Vertebrae and Hand Wrist Maturation for Assessment of Skeletal Maturity. J Clin Pediatr Dent. 199 Fall; 24(1): 47-52.
14. Ozer T, Kama JD, Ozer SY, A Practical Method of Determining Pubertal Growth Spurt. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 2006 Aug; 130(2); 131-6.
15. Gandini P, Mancini M, Andreani F.A, Comparison of Hand-Wrist Bone and Cervical vertebral Analyses in Measuring Skeletal Maturation. Angle Othod. 2006 Nov; 76(6); 984-9.
16. Damian MF, Cechinato F, Molina RD, Woitchunas FE, Relationship Between Cranial and Mandibular Growth and the Stages of Maturation of the Cervical Vertebrae. J Appl Oral Sci. 2007 Apr; 15(2):217-26.
17. Lai EH, Liu JP, Chang JZ, Tsai SJ, yao CC, Chen MH, Chen YJ, Lin CP, Radiographic Assessment of Skeletal Maturation Stages for Orthodontic Patients: Hand-Wrist Bones oe Cervical Vertebrae? J Formos Med Assoc. 2008, Apr; 107(4):316-25.
18. Soegiharto BM, Cunningham SJ, Moles DR, Skeletal Maturation in Indonesian and White Children Assessed with Hand-Wrist and Cervical Vertebrae Methods. AM J Orthod Dentofacial Orthop. 2008 Aug; 134(2):217-26.
19. Soegiharto BM, Cunningham SJ, Moles Dr, Discriminatory Ability of the Skeletal Index in the Cervical Vertebrae Maturation Index in Detecting Peak Pubertal Growth in Indonesian and White Subjects with Receiver Operating Characteristics Analysis. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 2008 Aug; 134(2):227-37
20. Sun Y, You QL, Liu HH, Correlation of Adolescents’ Skeletal Maturation Determined by Cervical Vertebrae and Hand-Wrist in Shangai region, Shangai Kou Qiang Yi Xue. 2007 Aug; 16(4):365-9
21. Fudalej P, Bollen AM, Effectiveness of the Cervical Vertebral Maturation Method to Predict Postpeak Circumpubertal Growth of Craniofacial Structures. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 2010 Jan; 137(1):59-65.

22. Baccetti T, Franchi L, McNamara J A Jr, Reproductibility of the CVM Method: a reply. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 2010 Apr;137(4):446-7; author reply 447.
23. Baccetti T, Franchi L, Toth LR, et al: Treatment timing for twin block therapy. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 118:159-170, 2000.
24. Baccetti T, Franchi L: Maximizing esthetic and functional changes in Class II treatment by means of appropriate treatment timing, Mc-Namara JA Jr, Kelly KA (eds): New Frontiers in Facial Esthetics. Craniofacial Growth Series, Vol 38. Ann Arbor, MI, Center for Human Growth and Development, University of Michigan, 2001, pp 237-251.
25. Petrovic A, Stutzmann J, Lavergne J: Mechanism of craniofacial growth Petrovic A, Stutzmann J, Lavergne J: Mechanism of craniofacial growth and modus operandi of functional appliances: a cell-level and cybernetic approach to orthodontic decision making, Carlson DS (ed): Craniofacial growth theory and orthodontic treatment. Craniofacial Growth Series, Vol 23. Ann Arbor, MI, Center for Human Growth and Development, University of Michigan, 1990, pp 13-74.

 

                                            

 

Retour à la liste des nouvelles